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JOURNÉE II, SCÈNE III.

est difficile de renoncer à un amour véritable !… Plus je m’efforce d’en détourner ma pensée, plus il revient obstiné à ma mémoire… — Mais il le faut, et mon honneur l’exige, je dois me venger d’un cruel abandon, et pour me guérir de mon ancien amour, je n’ai qu’un moyen, c’est d’aimer encore. Mais pourrai-je aimer lorsque mon premier amour vit encore dans mon cœur, et si c’est pour me venger, n’est-ce pas moi qui la première souffrirai de ma vengeance ? — Non, je me perdrais, et il vaut mieux attendre ; car plus d’une fois l’amour s’est rallumé au moment même où l’on croyait qu’il allait s’éteindre.

Théodore.

Marcelle !

Marcelle.

Qui est-ce ?

Théodore.

C’est moi ; — vous m’oubliez donc tout à fait ?

Marcelle.

Oui, je vous oublie, et si bien, que je voudrais être hors de moi-même pour ne plus me souvenir de vous ; je m’efforce de ne plus penser à vous, et je ne fais constamment que me rappeler votre conduite. — Mais comment avez-vous osé me nommer ?… comment votre bouche a-t-elle osé répéter le nom de Marcelle ?

Théodore.

J’ai voulu éprouver votre constance. J’ai bientôt su à quoi m’en tenir : on dit que je suis déjà remplacé dans votre cœur.

Marcelle.

Théodore, jamais homme sage n’éprouva ni verre ni femme. Mais vous ne me ferez pas accroire que ce fût là votre intention. — Non, je vous connais, Théodore, et je sais les folles pensées qui vous ont égaré. — Eh bien, où en êtes-vous ?… vos projets réussissent-ils à votre gré ? ne vous coûtent-ils pas plus qu’ils ne valent ? Croyez-vous toujours qu’il n’y ait rien ici-bas de comparable à la comtesse ? Mais que vous est-il arrivé ? qu’avez-vous ? d’où vient votre trouble ?… Est-ce que le vent aurait changé ? Venez-vous à présent chercher votre égale, ou voulez-vous seulement vous jouer de sa crédulité ? — Ah ! Théodore, que je serais heureuse si vous rendiez enfin un peu d’espoir à mon amour !

Théodore.

Si vous voulez vous venger, Marcelle, libre à vous. Mais songez que l’amour doit être généreux ; ne vous montrez pas si sévère ; la vengeance est une lâcheté dans le vainqueur. Vous l’emportez, Marcelle ; s’il vous reste quelque affection pour un infortuné, pardonnez mon erreur. Je reviens à vous, non pas que d’un autre côté tout espoir me soit interdit, mais parce que ces changements ont réveillé en moi votre souvenir. Eh bien, que le souvenir de vos anciens sentiments se réveille aussi, puisque je proclame votre victoire.