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JOURNÉE II, SCÈNE II.


Entrent LA COMTESSE, OCTAVIO, THÉODORE, FABIO, et, derrière, MARCELLE, DOROTHÉE, ANARDA.
Frédéric, à la Comtesse.

Je vous attendais pour avoir le bonheur de vous voir.

La Comtesse.

Je suis charmée, comte, de vous avoir rencontré.

Ricardo, à la Comtesse.

Je viens aussi, madame, avec le désir de vous offrir mon bras et mes hommages…

La Comtesse.

Je suis trop flattée, marquis ; agréez mes remerciements.

Ricardo.

Je devais cela à votre seigneurie.

Frédéric, à Léonido.

L’accueil qu’on me fait n’est pas, ce me semble, encourageant.

Léonido.

Ne lui laissez pas voir votre ennui.

Frédéric.

Hélas ! mon cher Léonido, il est bien naturel que celui qui ne se voit pas reçu avec plaisir, se trouble et garde le silence.



Scène II.

La chambre de Théodore.


Entre THÉODORE.
Théodore.

Nouveau désir qui me tourmentes, laisse-moi le repos que tu m’enlèves ; — car c’est à moi trop de folie et trop d’audace de t’écouter. — Cependant lorsqu’on a devant les yeux un noble but, l’audace n’est pas de l’imprudence, mais si le bien auquel j’aspire est infini, sur quoi peut se fonder mon espoir insensé ? Ce que j’ai vu, ce qu’on m’a dit, ne sont-ce pas de bien faibles bases pour ces palais enchantés que bâtit dans les airs mon imagination ? Non, ce n’est pas la faute de mes désirs si l’amour les élève si haut que j’en suis effrayé ; c’est que, hélas ! moi-même suis placé trop bas. — Il n’importe ! perdons-nous, s’il le faut, en suivant une pensée si douce et si charmante. Et d’ailleurs ce n’est pas se perdre que de succomber dans une entreprise aussi belle. Moi je me féliciterais de mon malheur, comme d’autres se félicitent du bonheur le plus longtemps souhaité ; car mon malheur serait si glorieux qu’il pourrait rendre le bonheur même jaloux[1].

  1. Ce morceau est dans l’original une sorte de dialogue où Théodore s’entretient avec sa pensée.