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LE CHIEN DU JARDINIER.

désirs indiscrets ont assailli son cœur, et l’ont forcée de renoncer à l’indifférence dans laquelle elle voulait vivre.

Théodore.

Le billet que vous avez écrit est parfait, et je ne ferais jamais aussi bien.

La Comtesse.

Essayez d’y répondre sur le même ton.

Théodore.

Je n’ose le tenter.

La Comtesse.

Je vous en prie.

Théodore.

Vous voulez absolument mettre mon ignorance à l’épreuve ?

La Comtesse.

Je vous attends ; revenez au plus tôt.

La Comtesse.

Puisque vous l’exigez, je vais vous obéir.

Il salue et sort.
La Comtesse.

Approche, Tristan.

Tristan.

Je me rends à vos ordres, non sans quelque honte pour mon habit qui s’en va un peu à la déroute, ce qui tient à l’état de gêne dans lequel se trouve mon maître depuis quelque temps. Je lui ai vainement représenté que la livrée du laquais doit être son plus bel ornement, qu’il doit y déployer sa magnificence, que c’est là que doit éclater sa grandeur, parce que c’est d’après cela qu’on le jugera. Il ne peut pas faire, sans doute, davantage.

La Comtesse.

Est-ce qu’il joue ?

Tristan.

Plût au ciel ! car un joueur a toujours quelque moyen de se procurer de l’argent. Autrefois les rois apprenaient un métier afin que si par hasard, soit à la guerre, soit autrement, ils venaient à perdre leur couronne, ils eussent de quoi vivre. À présent, heureux ceux qui dans leur enfance ont appris à jouer ! voilà un art noble qui vous sustente son homme sans lui donner beaucoup de peine ! Un grand peintre a mis tout son génie à un tableau, un sot arrive et ne l’estime pas dix écus ; tandis qu’un joueur n’a qu’à dire je tiens, pour gagner cent pour cent.

La Comtesse.

Ainsi Théodore ne joue pas ?

Tristan.

Il est trop timide pour cela.

La Comtesse.

Alors il a donc quelque amour ?