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Le Comte.

Quoi ! vous seriez son domestique !

L’Infant.

Je suis son esclave, je l’adore !

Le Comte.

Prenez garde ! je ne vous conseille pas de vous adresser à madame ; il pourrait vous en coûter cher.

L’Infant.

Si tu savais qui je suis, tu avouerais que je la mérite.

Le Comte.

Je le sais… (à part) et je vous donne à tous les diables !

L’Infant.

Qui suis-je ?

Le Comte.

Un homme de qui elle ne se soucie guère, à tort sans doute, et à qui elle n’a témoigné que des rigueurs. Je suis presque sûr qu’elle me préfère à vous, moi qui suis couvert de farine.

L’Infant.

Combien y a-t-il de temps que tu n’es allé là-bas ?

Le Comte.

Depuis cette époque jusqu’ici, monseigneur, je n’y suis allé qu’une fois.

L’Infant.

Et tu l’as trouvée toute resplendissante ?

Le Comte.

Au contraire ; elle était vêtue de deuil des pieds à la tête, en l’honneur d’un certain comte qui est mort.

L’Infant.

Ce comte est plus vivant que moi.

Le Comte.

Ce serait par trop singulier qu’il fût en même temps mort et vivant.

L’Infant.

Cela est pourtant. — Mais as-tu vu, dis-moi, par hasard, si elle parlait avec quelqu’un ?

Le Comte.

Elle se plaignait à sa suivante d’un prince qui a tué le comte ; elle l’appelait un perfide, un traître, un assassin. À elles deux elles l’accablaient d’injures et de malédictions par-dessus les nues ; et moi, à tout ce qu’elles disaient, pour soutenir leur voix, je répondais : Ainsi soit-il ! — Aujourd’hui que je dois aller chez elle lui porter de la farine, je voudrais la prier de m’apprendre à répéter ces nouvelles litanies, afin de sauver mon âme ; car, bien que je sois en sûreté à cette heure, cependant je ne suis pas encore rassuré[1].

  1. Encore un jeu de mots intraduisible. Il porte sur le mot salvado, qui signifie tout à la fois du son et sauvé.