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nommée célèbre de l’un à l’autre pôle, qui a conquis mille lauriers dans la guerre, et dont la haute sagesse n’est pas moins admirable dans la paix ? — C’est à cette sagesse que je viens m’adresser aujourd’hui. Le prince a fait arrêter le comte, mon époux ; il le retient en prison, entouré de gardes ainsi qu’un criminel ; et ce qu’il y a de plus affreux pour moi, c’est qu’on dit que sa vie est menacée, qu’il est destiné à périr incessamment. Daignez, sire, le rendre à mes prières.

Le Roi.

Madame, les pierres elles-mêmes seraient émues de vos chagrins, et je n’y suis pas insensible. — Mais, dites-moi, Celia ; si, malgré l’infant, je rendais la liberté au comte, cette preuve d’amitié ne mériterait-elle pas une récompense ?

La Duchesse.

Que vous dirai-je, sire ?… ma reconnaissance égalera le bienfait… Si vous délivrez le comte, rien ne m’arrêtera.

Le Roi.

Est-il bien vrai ?

La Duchesse.

Oui, sire.

Le Roi, à part.

Il est inutile de m’expliquer plus clairement ; elle m’a compris. (À Rufino.) Va, mon ami, va promptement au château ; et avant que le prince apprenne ce qui se passe, quelque opposition que tu y trouves, délivre le comte et nous l’amène aussitôt à la duchesse et à moi.

Rufino.

Le prince ne sera pas content ; mais mon premier devoir est de vous obéir.

Le Roi.

Va, mon ami, que je te doive ce bonheur.

Rufino.

Je cours au château.

Rufino sort.
Le Roi.

Au moins, Celia, ma chère fille, je compte sur votre promesse.

La Duchesse.

Vous m’avez, sire, imposé des obligations éternelles et sans bornes. Dès ce moment vous pouvez me commander comme à une esclave que vous auriez achetée.

Le Roi.

Quel langage, Celia ! Vous, mon esclave ! Non, c’est moi seul qui suis le vôtre et qui mets à vos pieds mon empire avec mes vœux ; car il est bien juste que celle qui règne souverainement sur le cœur d’un roi règne aussi sur son royaume.