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dans mes bras, et mon chagrin s’apaise, et j’oublie ma peine, et mon cœur est content. — Et vous, ma chère âme, vous avez été sensible à mes maux ?

La Duchesse.

Je les ai pleurés nuit et jour. Mais à présent, puisqu’on ne vous a pas arrêté et que vous m’êtes rendu, moi aussi je suis heureuse. — Mais, dites-moi, que me conseillez-vous ? J’ai envie de m’en aller avec vous tout à l’heure ?

Le Comte.

Gardez-vous-en, madame ! au nom de votre vie, ne me suivez pas ! vous me perdriez, vous vous perdriez vous-même.

La Duchesse.

Alors que dois-je faire ?

Le Comte.

Dissimulez ; feignez de croire que je suis le prisonnier. Je devrai à cette ruse innocente que l’on cesse de me poursuivre… Peut-être aussi conviendrait-il que vous alliez trouver le roi et que vous lui demandiez ma délivrance. Ainsi l’on n’aura plus de soupçons, et je profiterai de cette erreur pour revenir vous voir quelquefois en secret, ô mon bien ! ô ma gloire !

La Duchesse.

Votre idée est excellente, Prospero. — Oui, tout en me réjouissant de ce que vous êtes libre, je pleurerai devant le monde votre captivité. J’irai au roi, bien affligée et bien triste, lui demander votre délivrance ; et quand on sera bien persuadé de la douleur que j’éprouve… (S’interrompant.) Mais qu’avez-vous à regarder par là ? qu’y a-t-il ?

Le Comte.

Qui vient de ce côté, Theodora ?

Theodora.

C’est l’infant avec Valerio.

La Duchesse.

Ô ciel ! hélas ! quel contre-temps !.. Fuyez, Prospero, fuyez au plus vite.

Le Comte.

Non, madame, ce serait me trahir. N’ayez pas peur ; il ne me reconnaîtra pas, puisque vous ne m’avez pas reconnu.


Entrent L’INFANT et VALERIO.
L’Infant.

Que le soleil de votre beauté, madame, éclaire enfin mes yeux ! que ma présence ne vous trouble point, belle Celia. Je ne vous hais pas, moi, bien que vous me délestiez.

Theodora.

Eh bien ! meunier, que vous manque-t-il, que tous ne vous en allez pas ?