chez le vieux duc. Sous prétexte de le voir, je verrai les beaux yeux qui m’ont charmé… Je suis plus fou que mon fils.
Scène III.
Ô fortune ! cruelle fortune ! qui te joues sans cesse de la vie humaine, qui ne donnes qu’une joie trompeuse, qu’un bonheur qui s’enfuit comme un songe ; — où conduis-tu mes pas incertains à travers ce pays inhabité ? Où conduis-tu les pas d’un homme que ses disgrâces ont exilé des lieux qu’il aimait ?… Persécuté par un traître qui a pour lui la force et la puissance, je vais errant à l’aventure, entre la vie et la mort, ne sachant laquelle des deux j’ai le plus à désirer ou à craindre… Mais la mort ne tardera pas à l’emporter ; car celui qui me poursuit disposant d’un immense pouvoir, il n’y aura pas un hameau inconnu, un désert ignoré, qui puisse me soustraire à ses recherches… J’ai été obligé de fuir ma famille, seul, à pied ; je n’ai pas voulu que l’on sellât mon cheval, j’ai refusé de me laisser accompagner par un page ; je me suis flatté que peut-être ces bois et mon déguisement empêcheraient que je ne fusse découvert… Hélas ! oui, sans doute je pourrai vivre ici avec plus de sécurité, je pourrai gémir à mon aise sur mon abandon au milieu de cette solitude silencieuse… Si, sortant de la forêt, je me hasarde jusqu’au bord de la rivière, de là, ô ma Celia que j’adore ! mes yeux pourront contempler au loin la maison par toi habitée ; et le zéphyr léger m’apportera rapidement de tes nouvelles, et ma pensée s’élancera d’un mouvement plus facile vers les beaux lieux que j’ai perdus… mon âme ! permets à mon corps brisé par la fatigue de se reposer quelques instants sur la mousse des bois ; et toi aussi, que ta douleur, s’il est possible, goûte enfin quelque repos.
Ils viennent de sortir du moulin. Melampo court après Laura en lui jetant de la farine.
Attends-moi un peu, badin !
Attrape-moi si tu peux !…
Oh ! si je voulais !… cela ne me serait pas difficile, et en lui donnant de l’avantage encore, puisqu’on me disait l’autre jour que j’aurais vaincu à la course et la nymphe Atalante, et cette amazone sans pareille qui courait par-dessus un champ de blé sans courber