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chez le vieux duc. Sous prétexte de le voir, je verrai les beaux yeux qui m’ont charmé… Je suis plus fou que mon fils.

Le Roi et Rufino sortent.



Scène III.

Une campagne, une forêt, un moulin.


Entre LE COMTE PROSPERO, en habits de laboureur.
Le Comte.

Ô fortune ! cruelle fortune ! qui te joues sans cesse de la vie humaine, qui ne donnes qu’une joie trompeuse, qu’un bonheur qui s’enfuit comme un songe ; — où conduis-tu mes pas incertains à travers ce pays inhabité ? Où conduis-tu les pas d’un homme que ses disgrâces ont exilé des lieux qu’il aimait ?… Persécuté par un traître qui a pour lui la force et la puissance, je vais errant à l’aventure, entre la vie et la mort, ne sachant laquelle des deux j’ai le plus à désirer ou à craindre… Mais la mort ne tardera pas à l’emporter ; car celui qui me poursuit disposant d’un immense pouvoir, il n’y aura pas un hameau inconnu, un désert ignoré, qui puisse me soustraire à ses recherches… J’ai été obligé de fuir ma famille, seul, à pied ; je n’ai pas voulu que l’on sellât mon cheval, j’ai refusé de me laisser accompagner par un page ; je me suis flatté que peut-être ces bois et mon déguisement empêcheraient que je ne fusse découvert… Hélas ! oui, sans doute je pourrai vivre ici avec plus de sécurité, je pourrai gémir à mon aise sur mon abandon au milieu de cette solitude silencieuse… Si, sortant de la forêt, je me hasarde jusqu’au bord de la rivière, de là, ô ma Celia que j’adore ! mes yeux pourront contempler au loin la maison par toi habitée ; et le zéphyr léger m’apportera rapidement de tes nouvelles, et ma pensée s’élancera d’un mouvement plus facile vers les beaux lieux que j’ai perdus… mon âme ! permets à mon corps brisé par la fatigue de se reposer quelques instants sur la mousse des bois ; et toi aussi, que ta douleur, s’il est possible, goûte enfin quelque repos.

Il s’étend sur le gazon.


Entrent LAURA et MELAMPO.

Ils viennent de sortir du moulin. Melampo court après Laura en lui jetant de la farine.

Laura, s’arrêtant.

Attends-moi un peu, badin !

Melampo.

Attrape-moi si tu peux !…

Melampo sort en courant.
Laura.

Oh ! si je voulais !… cela ne me serait pas difficile, et en lui donnant de l’avantage encore, puisqu’on me disait l’autre jour que j’aurais vaincu à la course et la nymphe Atalante, et cette amazone sans pareille qui courait par-dessus un champ de blé sans courber