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TERRE D’ÉBÈNE

— Sait-on quand on a tué un noir ? me disait-il. Ces procès ne peuvent pas aboutir. Tous les noirs sont prêts à être tués, puisqu’ils ne tiennent plus debout. Ils sont comme moi. Dans quelques jours, quand je n’y serai plus[1], accusera-t-on mon chef de m’avoir tué sous prétexte que j’aurai attrapé mon mal sur le chantier ? Ces procès sont bêtes. On ne tape pas sur les nègres pour les tuer mais pour les faire travailler. Tuer ? Tuer ? Quand ma lampe-tempête est à bout de pétrole elle s’éteint ; si je souffle dessus, la flamme dure moins. J’ai soufflé sur un nègre, je ne l’ai pas tué. D’ailleurs, je suis acquitté.

Le Français n’avait pas encore de situation. Il s’en allait à Brazzaville à pied.

— Faites une commission pour moi, me demanda-t-il. Voyez le médecin chef et dites-lui qu’il réserve un lit à l’hôpital pour Ménin. Il ne sera pas épaté, il me connaît.

Le train stoppa au bout du rail. On descendit entre le kilomètre 77 et le kilomètre 78, face aux magasins de barils de ciment. Les Saras y travaillaient. Sur dix, six ou sept étaient bien ; on voyait le squelette des autres. Un désordre génial marquait ce premier chantier. On n’entendait que crier. Un Italien, plus malade que les nègres, hurlait : « Sa-

  1. L’auteur, depuis, a appris la mort de cet Italien.