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TERRE D’ÉBÈNE

ils peuvent dans des wagons pleins de rails. Quant au compartiment de blancs, il est à bestiaux ! Si l’on veut s’y asseoir, on doit apporter sa chaise. Ils sont quatre blancs déjà, dans « l’étable ». Le train part. J’ai vite appris quels étaient ces voyageurs. Celui qui n’avait pas l’air d’être malade était Anglais et coupeur de bois pour le compte des « Batignolles ». Il lisait un vieux Daily Mail ayant servi à faire des paquets. Le journal n’était pas complet. Quand l’article qu’il suivait finissait dans une déchirure, l’Anglais grognait. Il me demanda si je m’y connaissais en bois. Je répondis que non. Alors il se leva, me tendit sa main et dit : « Serrez ! Serrez ! » J’ai cru comprendre qu’il désirait me féliciter d’une telle ignorance. Il dit encore : « Chemin dé fer Non ? Chemin dé nègres, oui ! », exprimant sans doute par là que, sur la route, je trouverais couchés, plus de nègres que de traverses. Puis, d’une caisse, il sortit des boîtes de conserves et mangea. Le deuxième était un Italien, maigre, malade, à qui il manquait deux doigts à la main droite. Le troisième était un Français, malade, maigre, à qui il manquait un doigt à la main gauche et deux à la droite. Le quatrième était un docteur à quatre galons allant constater les décès. L’Italien revenait de « son » procès à Pointe-Noire et regagnait son poste au kilomètre 81, dans le Mayombe.