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TERRE D’ÉBÈNE

C’est la pénombre.

Hache sur l’épaule, un homme nu descend vers la route. Ses yeux sont battus, son corps rompu. C’est la première fois que je vois un nègre fatigué. Il me regarde avec un intérêt surprenant.

— Le chantier ? fis-je.

Il me montre que c’est d’où il vient. Une tornade se prépare. Le vent commence à charger le haut des arbres. Tout se froisse au-dessus de moi.

Je marche une heure. Plus de Decauville. La trace de pas frais est une indication suffisante.

Un autre nègre apparaît. Pour lui, je suis un chef, et il vient me mettre sous le nez, en guise de passeport, un doigt écrasé et saignant. Je lui dis : « C’est bien ! » comme si j’avais à lui dire quelque chose !

Soudain la forêt parle. C’est d’abord une rumeur un peu éteinte. J’avance. Il me semble qu’on scande une litanie. La forêt cependant est encore aphone, mais les cris enflent :

— Ah ya ! Ah ya ! Ah ya ! Ya ! ya ! ya ! Yââââ ! yââââ !

Les cris me dirigent. Je tombe sur la chose. Cent nègres nus, attelés à une bille, essaient de la tirer.

— Yââââ ! yââââ !

Le capita bat la mesure avec sa chicotte. Il semble être en état de convulsions. Il hurle :