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TERRE D’ÉBÈNE

mon âme jusqu’au fond est nègre, je suis heureusement décivilisé. Dans la campagne de Thiérache, cela allait encore ; mais dans les villes ! Cette vie d’insensés ! Vous ne vous en rendez pas compte, mais votre existence est digne des plus fous. Ces gens qui courent, qui courent pour revenir toujours au même endroit dans leur maison ! Ah ! non ! En Afrique, on se sent vivre. On est bon. L’esprit n’est pas mesquin. Rien n’est abîmé par les préjugés. Tandis que chez vous ! « Tes enfants sont noirs », me fit remarquer mon frère, lors de ce voyage. Ici chacun comprend qu’il ne m’a pas été permis, normalement, d’en espérer de plus blancs. Vous me demandez si mes petits voulaient rester en France ? Non pas ! Au bout d’un mois, nous disions tous : « Où est notre vieux Tombouctou ? » Je suis un défroqué, monsieur ! Cela me met au ban de la société, en France. Mes pauvres gosses se font honneur de leur père, en Afrique. Paul me disait l’autre jour, en revenant de l’ouverture de la digue : « Papa, pourquoi restes-tu comme ça en arrière des messieurs ? » Il croit que son père est quelqu’un. Hélas ! un blanc leur fera peut-être honte de moi, plus tard. C’est une pensée qui m’empêche souvent de jouir de leur présence autour de moi.

— Cependant, on vous dit heureux.

— Condamné à l’exil, j’ai su aimer mon horizon et m’y suis fort attaché.