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LE CHEMIN DE BUENOS-AIRES

attelés à la noria, comme les esclaves condamnés à la meule. Une nuit j’ai même rêvé qu’ayant commis un crime affreux, de justes jurés m’avaient infligé comme châtiment de me promener toute la vie dans Buenos-Aires. Je me réveillai. J’en pleurais !

Le courage est une vertu. J’ai toutes les vertus, alors j’allais par la grande capitale. La pluie, le soleil, le Pampero, rien n’arrêtait ma folle course. Les trams qui donnent le frisson aux trottoirs, tellement ils les rasent de près ; les crieurs de journaux du soir : Critica, La Razon, Cri-ti-ca. Ah ! les incas ! qui me dévalaient dans les jambes ; les foules figées devant les remates[1]. Rien. Rien. J’allais.

Parfois, cependant, je levais les yeux. Je voyais des maisons sans étage, au milieu de maisons qui en avaient beaucoup. Elles étaient les survivantes de l’âge héroïque, alors que le conquérant n’avait que le temps de déplier sa tente. Elles avaient changé de destination. Leur porte vitrée affichait le rideau réglementaire, rideau crème ou rideau rose. Aussitôt je baissais les yeux. J’allais.

Je passais de Cangallo dans Sarmiento, de Corrientès dans Lavalle, de Tucuman dans Viamonte. J’allais du numéro deux cents au numéro deux

  1. Ventes aux enchères.