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LE CHEMIN DE BUENOS-AIRES

Je l’emmenai rue des Fabres, dans l’une de ces tavernes à banjo. Il ne suffit pas de donner à manger aux petites femmes qui ont faim, il faut essayer de leur faire croire qu’elles ne s’ennuient pas !

Elle n’osait entrer. Non qu’elle manquât de tenue, mais tant d’ampoules électriques faisaient subitement honte à sa robe et à ses souliers.

Elle était, ce que les hommes du milieu m’apprendraient plus tard à nommer : une malheureuse.

Même pour un homme ordinaire, je dois dire que cela se voyait.

C’était cependant une malheureuse de classe.


Moune avait vingt et un ans et déjà les joues creuses. Elle était jolie, avec distinction. Ses mains étaient de celles qui n’avaient jamais travaillé et ses yeux, quoiqu’ils fussent grands, de ceux qui n’avaient pas encore vu beaucoup de choses — beaucoup de choses de bon.

Elle avait été mariée. Son mari l’avait emmenée au Togo. Il y était mort. Elle savait raconter de belles histoires sur le Togo, la colonisation allemande et le mandat français. Elle était revenue à Paris. Son père ne s’en montrait pas excessivement enchanté. Elle était allée chez sa sœur, son beau-frère voulait l’aimer. Un jour elle avait trouvé un monsieur agréable qui avait une automobile. Elle