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Diable, trois minutes suffiraient. Nous voici en route depuis un quart d’heure. Six rameurs. Nous n’avons presque pas décollé de Royale.

Ce sont six rudes galériens pourtant ! Ils serrent les dents. On dirait que c’est leur mâchoire qui tire le canot. Mais chaque fois qu’ils gagnent un mètre, les rouleaux nous repoussent de deux.

Avec eux, nous sommes neuf dans le canot. Aucun ne parle. Le hasard de ces minutes nous impose. Un orage s’abat à droite : rideau de fer qui descend sur l’horizon. L’orage fonce sur nous comme une charge de cavalerie.

Nous ne parlons pas. Dans un suprême effort, les forçats enlèvent le canot et sortent du tourbillon.

— C’est fait ! dit Seigle.

Nous sautons sur le « Diable ». Ouvrez les bras et vous tiendrez l’île contre votre cœur. C’est tout son volume.

Dreyfus l’inaugura. Il y resta cinq ans, seul. Voici son carbet. Il est abandonné. Je le regarde et c’est comme une très ancienne histoire que l’on me conterait.

Voici son banc. Chaque jour, le capitaine venait s’y asseoir, les yeux fixés, dit la légende, sur la France, à quatre milles par l’Atlantique.

Vint Ullmo. Là est sa case. Il y reçut le baptême, la communion. Voici sa lampe, son cocotier.

La guerre a peuplé le rocher. Maintenant ils sont vingt-huit, deux par baraque.