pris le soleil au lasso comme un cheval sauvage et qu’il a soulevé le ciel au-dessus de la terre ?
— Je suis un homme sans grand mérite et de peu de sagesse, ô Lakana, répondit le pêcheur. Pourtant, j’ai lu la Bible que les missionnaires ont traduite pour nous en hawaïen, et j’y ai vu que votre Héros du Commencement a créé la terre, le ciel, le soleil, la lune, les étoiles et toutes les espèces d’animaux, des chevaux aux cafards, des mille-pattes et des moustiques aux poux de mer et aux méduses, l’homme et la femme et tout le reste, tout cela en six jours. Eh bien, Maui n’en a pas fait autant. Il n’a rien fabriqué. Il a simplement mis les choses en ordre et il lui a fallu un temps infini pour les améliorer. En tout cas, il est plus facile et plus raisonnable de croire un petit mensonge qu’un gros.
Que répondre à cela ? Son raisonnement me déconcertait par sa logique. De plus, je souffrais d’une violente migraine. Le plus troublant, comme je dus bien l’admettre en mon for intérieur, c’est que la théorie de l’évolution nous apprend que l’homme a marché à quatre pattes avant de se tenir debout ; d’autre part, l’astronomie prouve que le temps de la révolution de la terre sur son axe diminue régulièrement, augmentant ainsi la durée du jour ; et les sismologues affirment que toutes les îles d’Hawaï ont émergé du fond de l’océan sous l’action volcanique.
Par bonheur, j’aperçus une gaule de bambou placée à quelques centaines de pieds de nous, qui brusquement se livrait à une danse endiablée. Cet incident mit fin à une discussion stérile. Kohokumu et moi nous nous empressâmes de ramer vers elle. Kohokumu saisit la canne de bambou et tira de l’eau un ukikiki de soixante centimètres, qui se débattait vigoureusement à l’hameçon, faisant miroiter au soleil ses brillantes écailles d’argent, pour venir enfin bondir au fond du canot. Kohokumu prit alors une pieuvre qui agitait ses tentacules visqueux et d’un coup de dents lui arracha un morceau de chair vive dont il se servit pour réarmorcer sa ligne avant de la rejeter à l’eau. La gaule continua de flotter à plat, tandis que le canot dérivait lentement.
Tout en surveillant autour de lui ses lignes rangées en demi-cercle, le vieillard s’essuya les mains sur ses flancs nus et entonna le chant monotone et centenaire de Kouali :
Ô, le grand hameçon de Maui !
Manai-i-ka-lani fixé aux deux !
Une corde tressée de terre attache l’hame-çon
Lancée de l’altier Kauiki !
Son appât est Alae au bec rouge
L’oiseau consacré à Hina !
Il plonge profondément jusqu’à Hawaï
Se débattant et étouffant dans la douleur !
La terre est soulevée du fond des eaux
Elle monte et flotte vers la surface
Mais Hina a caché une aile de l’oiseau
Et rompu la terre au-dessous de l’onde !
Au fond l’appât a été arraché