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— Oui, j’ai trimé dur, continuait Frédéric. Le résultat en valait la peine.

Il allait poursuivre, mais un coup d’œil étrange de la jeune fille lui coupa la parole. Il sentait qu’elle le jaugeait, le défiait en quelque sorte. Pour la première fois, on osait discuter son honorable carrière, grâce à laquelle il avait édifié le bien-être de tout le comté. Et qui se permettait de le juger ? Une gamine, la fille d’un bon à rien, cette créature frivole, cette vagabonde, cette étrangère, quoi !

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Un conflit devenait inévitable entre ces deux tempéraments si dissemblables. Frédéric l’avait détestée au premier abord. Il était inutile qu’elle parlât : sa seule présence suffisait pour l’indisposer. Il se sentait continuellement en butte aux critiques muettes de Polly, encore que celle-ci ne s’en tînt pas là. Elle ne mâchait pas ses mots, mais s’exprimait sans détour, avec une franchise brutale, et comme nul homme n’avait osé lui parler jusqu’alors.

— Je me demande parfois si vous regrettez le bonheur qui vous a manqué ? lui dit-elle un jour. Avez-vous, une seule fois dans la vie, lâché la bride et commis des folies ? Vous êtes-vous une fois enivré ? Vous rappelez-vous avoir fumé à l’excès ? Ou dansé à pieds joints sur