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pinçait l’instrument et entonnait des airs, la cigarette allumée posée sur l’accoudoir du fauteuil, au grand péril du bois vernis ; sa voix magnifique de baryton lançait des hulas des mers du Sud et de gaies chansons françaises et espagnoles.

L’une d’elles plaisait particulièrement à Frédéric. C’était la chanson favorite d’un roi tahitien, expliqua Tom, qui l’avait lui-même composée et la fredonnait des heures entières, étendu sur ses nattes. Elle se limitait à la répétition de quelques syllabes : I-méou-rou-rou-é-raou, toutes scandées sur un ton solennel, varié à l’infini, et soutenues par les graves accords de l’ukulélé.

Polly prenait grand plaisir à l’enseigner à son oncle, mais quand lui-même, gagné par cette joie de vivre qui flottait autour de son frère, essaya de chanter, ses auditeurs firent des efforts inouïs pour contenir leur gaîté ; enfin, n’y tenant plus, ils éclatèrent de rire.

À sa consternation, on apprit à Frédéric que la simple phrase qu’il avait prononcée avec tant de passion signifiait en tahitien : Je suis saoul !

On s’était bel et bien moqué de lui !

Frédéric Travers avait annoncé, solennellement et avec orgueil, à quel point il avait bu !