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LES TEMPS MAUDITS

être séparée de ses épaules dans un délai si proche que, franchement, il n’avait plus besoin de patience pour attendre cet événement. Il fumait bien, mangeait bien, dormait bien, et ne se tracassait pas de la lenteur du temps.

Cruchot était un gendarme. Il avait fait vingt ans de service aux colonies, depuis le Niger et le Sénégal jusqu’à l’Océanie, et ces vingt années n’avaient pas sensiblement allégé sa lourdeur d’esprit. Il restait aussi obtus qu’en sa jeunesse, quand il cultivait la terre dans le midi de la France. On lui avait inculqué la discipline et la crainte de l’autorité, et entre Dieu et le maréchal des logis il n’établissait guère de distinction dans la mesure de son obéissance passive. En fait, le maréchal des logis lui paraissait plus grand que Dieu, sauf le dimanche, où les porte-voix du Seigneur avaient la parole. En temps ordinaire, Dieu était très loin, tandis que le margis rôdait toujours à proximité.

Ce fut Cruchot qui fut chargé d’aller chercher le condamné à la prison. Or le Président du tribunal avait donné la veille au soir un grand dîner au commandant et aux officiers du navire de guerre en rade. Lorsqu’il