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LES TEMPS MAUDITS

— Mon Dieu, Jeannot ! pleurnicha-t-elle. Ne dis pas chose pareille !

Cette façon de parler lui semblait un blasphème. Elle était scandalisée comme une mère qui entend son enfant nier l’existence de Dieu.

— Mais qu’est-ce que tu t’es mis dans la tête, à cette heure ? demanda-t-elle avec une vaine tentative de sévérité.

— Des chiffres, répondit-il, rien que des chiffres. J’ai fait beaucoup de calculs, cette semaine, et obtenu des résultats surprenants.

— Je ne vois pas ce que les chiffres viennent faire là-dedans, dit-elle en reniflant.

Jeannot esquissa un vague sourire, et sa mère éprouva un choc en constatant chez lui l’absence persistante de toute susceptibilité et irritabilité.

— Je vais te l’expliquer, dit-il. Je suis très fatigué. Quelle en est la cause ? Des mouvements. J’ai fait des mouvements depuis ma naissance. Je suis las. Je suis las. Maintenant c’est fini. Te rappelles-tu le temps où je travaillais à la verrerie ? Je bouchais trois cents douzaines de flacons par jour, je compte une dizaine de mouvements pour chacun d’eux : cela fait trente-six mille mouvements