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LE RENÉGAT

jamais à Jeannot en plein jour ni à l’état de veille, mais lui revenait la nuit, dans son lit, au moment où l’intelligence s’enfonce et se dissout dans le sommeil. Éveillé en sursaut au premier choc de l’épouvante, il s’imaginait couché en travers au pied du lit où il entrevoyait vaguement les formes de son père et de sa mère. Il ne discernait jamais nettement les traits de son père, et l’unique impression qu’il eût conservée de lui était l’impitoyable brutalité de ses coups de pied.

Sa mémoire, ainsi hantée de lointains souvenirs, n’enregistrait guère d’événements plus récents. Toutes ses journées se ressemblant, hier ou l’an dernier lui faisaient à peu près le même effet qu’un siècle ou une minute. Rien ne lui arrivait jamais. Aucun fait ne marquait pour lui le progrès de la durée. Le temps ne marchait pas, mais demeurait tranquille à perpétuité. Seules les machines remuaient, mais elles se mouvaient dans le néant, en dépit de ce qu’elles fonctionnaient de plus en plus vite.

Quand il atteignit ses quatorze ans, il alla travailler à l’amidonnage. Ce jour fit époque dans sa vie. Enfin quelque chose arrivait dont il conserverait le souvenir au-delà d’une