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LES TEMPS MAUDITS

Durant le repas sa mère s’évertuait, à maintes reprises et sous diverses formes, à affirmer qu’elle faisait de son mieux ; si bien que, la maigre pitance avalée, Jeannot éprouvait un certain soulagement à reculer sa chaise et à se lever de table. Il hésita un instant entre le lit et la porte de la rue, et finalement choisit celle-ci. Il n’alla pas loin : il s’assit sur les marches, repliant les jambes, bombant ses épaules étroites, les coudes sur ses genoux et le menton dans ses mains.

Figé dans cette attitude, il ne pensait à rien. Il se reposait simplement, l’esprit pour ainsi dire endormi. Ses frères et sœurs rejoignirent d’autres enfants dans la rue et se mirent à jouer bruyamment autour de lui. Le globe électrique du coin éclairait leurs ébats. Lui demeurait morose et irritable, et les gosses le savaient, mais l’esprit d’aventure les poussait à le taquiner. Se tenant par les mains devant lui et se balançant en mesure, ils lui chantaient au visage des bouts rimés grotesques et peu flatteurs. Au début, il grommelait des jurons à leur adresse, des jurons appris de divers contremaîtres. Mais, constatant la futilité de cette mesure et se souvenant de sa dignité, il retomba bientôt dans son silence obstiné.