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LE RENÉGAT

remarqua-t-il d’un ton sentencieux. J’aime mieux marcher et becqueter mon soûl.

Il mangeait précipitamment, mâchant à peine son pain et le faisant descendre sous une douche de café. Il donnait ce nom au liquide chaud et boueux qu’il prenait sincèrement pour du café et trouvait excellent. C’était une des dernières illusions de sa vie : il n’avait jamais bu de véritable café.

Outre le pain, il y avait un petit morceau de porc froid. Sa mère lui versa une autre tasse de café. En achevant son pain, il se mit à guetter s’il en viendrait d’autre. Elle surprit son regard investigateur.

— Voyons, ne sois pas glouton, Jeannot, déclara-t-elle. Tu as eu ta part. Tes frères et sœurs sont plus petits que toi.

Peu causeur, il ne répondit pas à cette rebuffade, mais cessa de lancer des regards affamés. Il s’abstenait de se plaindre, doué d’une patience aussi terrible que l’école où il l’avait apprise. Il acheva son café, s’essuya la bouche d’un revers de main et se mit en devoir de se lever.

— Attends une seconde ! dit vivement sa mère. Je crois que la miche se laissera couper encore une tranche… une bien mince.