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UNE TRANCHE DE BIFTECK

Tom King, peu bavard de sa nature, demeurait près de la fenêtre dans un morne silence et regardait ses mains ; il contemplait les veines en saillie, grosses et gonflées, et les jointures démolies, déformées, attestant la besogne accomplie par elles. Il ignorait l’aphorisme d’après lequel « la vie d’un homme est celle de ses artères », mais il comprenait bien le sens de ces grosses veines en relief. Son cœur y avait envoyé trop de sang sous la pression maximum. Elles ne remplissaient plus leur office. Il avait forcé leur élasticité, et son endurance s’était relâchée en proportion de cette détente.

Maintenant il se fatiguait facilement. Il ne pouvait plus faire une série de vingt reprises coup sur coup, en avalanche, se battant d’un son de gong à l’autre, recouvrant ses forces en touchant terre, acculé aux cordes et y acculant l’adversaire, et reprenant toute sa vigueur en cette vingtième et dernière reprise, où, devant toute la salle debout et hurlante, lui-même se précipitait, frappait, esquivait, faisait pleuvoir une grêle de coups et en encaissait lui-même une averse, cependant que son cœur refoulait fidèlement le sang dans ses artères et le pompait dans ses veines.