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VOULOIR MOURIR

t’encombrer. Ton esprit lui commande de mourir. Tu commences l’opération par les deux orteils. Tu les fais mourir, l’un après l’autre, puis, après eux, tous tes doigts de pieds. Tu veux qu’ils meurent. Et, si tu as la foi et la volonté, ils mourront. Le début est le plus difficile. Quand le premier orteil est mort, le reste n’est plus que bagatelle. Car alors tu n’as plus, pour croire, à te tourmenter les méninges. Ta volonté opère sans peine pour le reste du corps. Je l’ai fait trois fois, je le répète. Je sais, Darrell. Le plus curieux, c’est que tandis que ton corps est en train de mourir, ton esprit n’en demeure pas moins lucide. Ta personnalité subsiste. Après tes pieds, tes jambes sont mortes. Puis les genoux. Puis les cuisses. Et, à mesure que monte la mort, tu es le même toujours. Ton corps seul abandonne la partie, morceau par morceau.

Je demandai :

— Et qu’arrive-t-il ensuite ?

— Lorsque tout ton corps est mort, bien mort, et que ton esprit se sent intact, tu n’as plus qu’à sortir de ta peau et à laisser derrière toi ta dépouille. Or, quitter cette dépouille c’est aussi quitter ta cellule. Les murs de pierre et les portes de fer sont faites pour garder les corps. Ils ne sauraient enclore les esprits. Trois fois je l’ai fait, et trois fois j’ai vu alors que mon « moi » était dehors, sa forme matérielle gisante sur le sol de mon cachot.

De treize cellules plus loin, Jake Oppenheimer cogna son rire.

— Ha ! ha ! ha !

— Tu le vois ! reprit Ed. Morrell, c’est l’ennui avec Jake. Il ne croit pas. La fois où il a tenté le coup, il n’était pas, physiquement, assez faible. Il a échoué. En sorte qu’il prétend que je lui bourre le crâne.

— Quand on est mort, c’est pour de bon ! riposta Oppenheimer. Les morts ne reviennent pas à la vie.

— Mort, je l’ai été trois fois.

— Et tu es encore là, farceur, pour nous le raconter !