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LA CAMISOLE DE FORCE

temps infini. Dix minutes peut-être. Et mes tortures prirent une autre forme.

C’étaient maintenant des aiguilles et des épingles qui foisonnaient dans tout mon être, et le transperçaient de part en part, de leurs innombrables et imperceptibles piqûres. Je tins bon et demeurai calme. Puis les picotements cessèrent et firent place à un engourdissement général, qui me parut mille fois plus effrayant. Je recommençai à crier.

Mon voisin recommença à se plaindre.

— Impossible, bon Dieu ! de fermer l’œil… Dis donc, camarade, je ne suis pas plus heureux que toi… Ma camisole est aussi étriquée que la tienne ! C’est pourquoi je veux dormir et oublier…

— Depuis combien de temps es-tu dedans ? interrogeai-je.

Je croyais, en mon for intérieur, et songeant aux siècles de souffrance qui semblaient s’être écoulés pour moi, que cet homme si calme était là depuis quelque cinq minutes.

Il répondit :

— Depuis avant-hier.

— Depuis avant-hier dans la camisole ?

— Parfaitement, frère.

Je m’exclamai :

— Oh ! mon Dieu !

— Mais oui, frère. Depuis cinquante heures sans discontinuer. Et tu ne m’entends pas piailler et hurler. Ils m’ont ficelé, leurs pieds dans mon dos. Je suis boudiné, tu peux m’en croire… Tu n’es point le seul, tu vois, à ne pas être à ton aise. Tu te plains, et il n’y a pas une heure qu’on te l’a mise…

Je protestai :

— Tu fais erreur. On me l’a mise depuis bien des heures et bien des heures.

— Frère, c’est de l’imagination. Tu le crois de bonne foi, mais il n’en est rien. Je t’assure qu’il n’y a pas une heure. Je les ai entendus qui te laçaient.