d’air et de nourriture nécessaires à soutenir la vie sont minimes, presque négligeables. Fort de ces précédents, dûment constatés, j’osai mettre au défi le gouverneur Atherton et le docteur Jackson de m’infliger cent jours consécutifs de camisole. Ils n’osèrent point relever mon défi.
Je réussis, par contre, à me passer d’eau et de nourriture, durant des périodes entières de dix jours. Et c’était pour moi le pire des supplices, d’être tiré des profondeurs vagabondes de mon rêve à travers le temps et l’espace, par un misérable médecin de prison, qui m’entr’ouvrait les lèvres pour me contraindre à boire. En conséquence de quoi, j’avertis le docteur Jackson que je prétendais qu’on me laissât tranquille durant mon temps de camisole, et que je résisterais à tous ses efforts pour me faire absorber quoi que ce fût.
Il y eut, bien entendu, un peu de tirage, avant que je pusse faire accepter du docteur Jackson mon point de vue. Mais il dut finalement céder. Il en résulta que mes périodes de camisole me parurent désormais durer exactement le temps d’un tic-tac d’horloge. Dès que j’étais lacé, les ténèbres de ce monde m’enveloppaient très vite et, non moins rapidement, je revoyais luire, ô merveille ! une autre lumière, toute nébuleuse d’abord, mais éclatante bientôt, et, dans cette lumière, d’autres visages spectraux, qui ne tardaient pas à se préciser, à se pencher vers moi. Je savais seulement lorsqu’on me délaçait que dix jours nouveaux s’étaient tout à coup écoulés.
Quant à la conclusion scientifique que j’ai tirée de ces expériences d’autres vies, elle s’est faite, à mesure, de plus en plus nette. Mon être, et celui de tous les autres hommes comme le mien, est une résultante d’autres êtres. Je n’ai pas commencé à exister lorsque je suis né, ni même lorsque je fus conçu. J’ai été formé à travers des myriades de siècles. Des myriades de vies ont concouru à composer la substance matérielle et morale de mon être.