Il y avait une épidémie de prophètes, qui chassaient les démons à l’aide de charmes magiques, guérissaient les maladies par l’imposition des mains, absorbaient impunément des poisons réputés foudroyants, et maniaient sans danger les serpents les plus venimeux. Ils se retiraient au Désert, pour y jeûner, et en revenaient afin de proclamer quelque nouvelle doctrine, pour rassembler la foule autour d’eux et engendrer une secte de plus, qui se divisait bientôt en quatre ou cinq autres sectes divergentes, séparées entre elles par des points de détail dans l’interprétation de cette doctrine.
— Par Odin ! disais-je souvent à Pilate, un peu de nos frimas et de notre neige du Nord ferait merveille pour leur rafraîchir les idées. Le climat dont ils jouissent est exagérément clément. Au lieu d’abattre des arbres, pour s’en construire des toits, et de chasser la viande, ils échafaudent des doctrines ! Si jamais je sors, l’esprit sain, de ce pays de toqués, je fendrai en deux le premier bavard qui viendra m’entretenir encore de ce qui adviendra de moi après ma mort.
Oncques ne vit-on pareils agités. Pour eux, toute chose sous le soleil était pie ou impie. Les Proconsuls et Gouverneurs que leur envoyait Rome étaient sur les dents. Ils voyaient en tout, dans les aigles romaines, dans les statues, et même dans les boucliers votifs suspendus devant la demeure de Pilate, un attentat à leurs croyances.
Le prélèvement du Cens était considéré comme l’abomination de la désolation. Le Cens était cependant la base même de l’impôt romain. Mais les Juifs, qui ne prétendaient rien payer à l’État, déclaraient que le Cens était contraire à la loi divine, à leur Loi. Oh ! cette Loi ! On en jouait sans cesse, on la mettait à toutes les sauces. Il y avait les zélateurs, qui étaient spécialement chargés de la faire respecter. Leurs mains étaient souvent rouges de sang. Mais, si Pilate était intervenu pour les punir, il eût soulevé une émeute, fait jaillir une insurrection.