Page:London - Le Vagabond des étoiles.djvu/216

Cette page a été validée par deux contributeurs.

CHAPITRE XX

QUAND J’ÉTAIS RAGNAR LODBROG

Tu n’as, lecteur, certainement pas oublié ce que je t’ai conté au début de ce récit, et comment, lorsqu’on me montrait, quand j’étais enfant dans la ferme paternelle du Minnesota, des photographies de la Terre Sainte, je reconnaissais les lieux qu’elles représentaient, je désignais les changements qui y étaient survenus.

Tu te souviens aussi qu’en décrivant la scène de la guérison des lépreux par Jésus, dont j’avais été témoin, j’avais déclaré au missionnaire venu chez nous que j’étais un colosse d’homme, qui regardait, avec une grande épée, à califourchon sur un cheval.

Cet incident de mon enfance n’était alors, dans mon cerveau, qu’une nuée traînante de lumière, comme s’exprime Wordsworth[1]. Le petit Darrel Standing que j’étais n’avait pas, en venant au monde, oublié complètement le passé. Mais ces souvenirs d’autres temps et d’autres lieux vacillaient dans ma conscience d’enfant, et leur faible lueur n’avait pas tardé à y disparaître. Pour moi, comme pour tous ces petits êtres, les ombres de la prison de mon nouveau corps se refermaient sur mes existences antérieures.

  1. William Wordsworth, poète anglais, 1770-1850. Il est fait ici allusion à son Ode à l’Immortalité, où il dit notamment : « Ce n’est pas dans une nudité complète — Mais dans des nuées traînantes de lumière — Qu’un jour nous verrons Dieu. »