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LE VAGABOND DES ÉTOILES

de mon être, redevenu Adam Strang, un mois après la question que m’avait posée Oppenheimer (et je n’avais cessé, tout ce temps, d’être en butte à ses quolibets), j’observai de plus près mes échecs et constatai qu’ils différaient notablement de ceux que nous employons aujourd’hui. Seul, le principe du jeu était le même. Mais, au lieu de nos soixante-quatre carrés de damier, il y en avait quatre-vingts. Tandis que, chez nous, l’un des joueurs dispose de huit pions, l’autre de neuf, les pions étaient, en Corée ancienne, au nombre total de vingt. Si bien que les combinaisons qui en résultaient étaient complètement différentes. En outre, il n’y avait pas de Reine.

Voilà ce que j’eus ensuite le plaisir de taper à Oppenheimer. Je lui enseignai même ce nouveau jeu, quoiqu’il fût beaucoup plus compliqué que le nôtre.

Il nous passionna à ce point qu’il occupa pour nous tout l’hiver suivant. Nous y fûmes tellement absorbés que nous oubliâmes, en ces jours lugubres, le froid qui nous mordait. Car les cachots ne sont pas chauffés. Il serait immoral d’atténuer tant soit peu, pour un condamné, la rigueur naturelle des éléments.

Oppenheimer, pourtant, ne fut pas convaincu que j’eusse tiré ma science des siècles passés. Il prétendit que le jeu, comme mes prétendues aventures, était sorti tout armé de mon cerveau.

— Tu devrais, me tapa-t-il, le faire breveter. Je me souviens avoir connu, au temps où j’étais garçon de courses, un type qui inventa un jeu bête à pleurer, qui s’appelait « les Cochons dans les Trèfles ». Ce jeu stupide eut un succès fou et son inventeur en tira des millions.

Je répliquai que mon brevet viendrait trop tard et que les Asiatiques l’avaient pris avant moi, il y a sans doute des milliers d’années.

La discussion en demeura là. Oppenheimer coucha obstinément sur ses positions. Et moi sur les miennes. Je n’ajouterai qu’un seul mot.