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LE VAGABOND DES ÉTOILES

normal de la circulation, je sentais dans tout mon corps, et de l’engourdissement qui en résultait, je dirigeai ma volonté vers l’orteil de mon pied droit. Je voulus qu’il mourût, qu’il mourût non de lui-même, mais par la seule volonté de moi qui lui commandais. Ce qui était complètement différent. Et il mourut.

Ce point acquis, le reste, comme me l’avait dit Morrell, fut aisé. L’opération fut lente, je le reconnais. Mais, doigt après doigt, les dix doigts de mes deux pieds cessèrent d’être. Puis, membre par membre, jointure par jointure, la mort progressive continua.

Elle monta d’abord des doigts jusqu’au cou-de-pied, puis jusqu’aux jambes et aux genoux. Telle était la fixité de ma pensée, et sa parfaite exaltation, que je ne connus même pas la joie de mon succès. Une seule préoccupation me tenait. J’ordonnais à mon corps de mourir et il obéissait. Je m’adonnais à ma tâche avec tout le soin que met un maçon à empiler ses briques. Et cette tâche, qui m’absorbait tout entier, me paraissait aussi naturelle que peut sembler la sienne audit maçon.

Au bout d’une heure, la mort ascendante avait atteint mes hanches, et je continuais à vouloir qu’elle montât encore.

Lorsqu’elle atteignit le niveau du cœur, mon être conscient commença à s’obscurcir et fut pris de vertiges. Craignant qu’il ne s’égarât complètement, je tournai ma volonté vers mon cerveau, qui s’éclaircit de nouveau. Puis je recommençai à ordonner de mourir à mes épaules, à mes bras, à mes mains et aux doigts de mes mains. Ce dernier stage s’accomplit très rapidement.

Il n’y avait plus alors de vivant, dans mon corps, que ma tête et une petite partie de ma poitrine. Le fracas de mon cœur s’était éteint et les coups de marteau qu’il frappait avaient cessé. Il battait faible, mais régulier. Si j’avais, en un tel moment, souhaité quelque bonheur, je l’eusse découvert dans l’arrêt de mes sensations physiques.