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sales frusques, et raccommodé tes chaussettes, et passé des nuits à veiller tes gosses quand ils étaient malades. Regarde ça !

Elle avança un pied informe et enflé, enfermé dans un soulier monstrueux, flasque, dont le cuir sec et éraillé paraissait blanc au bord des crevasses renflées. Sa voix devenait à chaque instant plus élevée et plus gutturale.

— Regarde, te dis-je, regarde ça ! Les seuls que je possède, moi, ta femme ! N’as-tu pas honte ? Où sont mes trois paires à moi ? Regarde ce bas !

La parole lui manquant, elle s’assit brusquement sur une chaise auprès de la table, jetant droit devant elle des regards furieux. Se relevant avec la raideur soudaine d’un automate, elle se versa une tasse de café froid, et se rassit de la même façon saccadée. Comme si ce liquide graillonneux et indescriptible devait lui brûler les lèvres, elle en versa dans sa soucoupe, et continua à fixer le vague, sa poitrine se soulevant et s’abaissant en mouvements brusques et mécaniques.

— Voyons, Sarah, calme-toi, calme-toi ! supplia Tom avec inquiétude.

Pour toute réponse, lentement, de propos parfaitement délibéré, comme si la destinée d’un empire dépendait de l’assurance de son acte, elle retourna la soucoupe et l’appliqua sens dessus-dessous sur la table ; puis, du même mouvement lent et massif, elle leva la main droite bien ouverte, et plaqua une gifle retentissante sur la joue étonnée de Tom. Puis, immédiatement, elle se mit à pousser un hurlement aigu, rauque et monotone de folle hystérique, et, s’asseyant sur le plancher, commença à se balancer en avant et en arrière dans les angoisses d’une douleur insondable.

La pleurnicherie silencieuse de Willie devint bruyante, et les deux fillettes, avec leurs rubans neufs dans les cheveux, se mirent à l’unisson. Tom avait les traits tirée, et la figure toute blanche, sauf à l’endroit où il avait reçu la claque. Saxonne aurait voulu l’entourer de ses bras et