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Elle se demanda pour la millième fois ce que pouvait bien être une harpe éolienne ; mais elle sentait vivement qu’une sorte de beauté d’ordre supérieur lui parvenait de cette adorable créature dont elle se souvenait si vaguement. Elle se recueillit un instant, puis déroula un second manuscrit. Il était dédié à C. B., c’est-à-dire à Carlton Brown, et elle savait que c’était un poème d’amour écrit par sa mère. Elle s’arrêta sur les lignes du début :

J’ai fui, loin de la foule et loin de la cité,
Vers les bosquets tremblants où les feuilles d’été
Pointent vers Aphrodite à la poitrine altière,
Vers Bacchus couronné de pampres et de lierre,
Et Pandore et Psyché, dressant leur nudité
Dans la rigidité d’un silence de pierre.

Ces vers aussi la dépassaient : mais elle en respirait l’harmonie. Bacchus, Pandore, Psyché !… formules magiques d’évocation, sans doute ; mais, hélas ! sa mère avait gardé le secret de cette magie. Mots étranges qu’elle ne comprenait pas et qui pourtant signifiaient tant de choses ! Cette mère étonnante en avait connu le sens. Saxonne en épela les trois noms à haute voix, n’osant se risquer à les prononcer ; et dans sa conscience vacillaient des interprétations augustes, profondes et inexprimables. Son esprit trébuchait et s’arrêtait sur le seuil étoilé et resplendissant d’un au-delà où cette ombre chérie s’était promenée à loisir. À plusieurs reprises, solennellement, elle relut les six vers. Ils lui représentaient un éther radieux dominant ce monde où elle existait, ce monde que hantaient des fantômes de peine et d’inquiétude. Un fil conducteur courait entre ces lignes énigmatiques et chantantes. Si seulement elle pouvait le saisir, tout deviendrait clair : elle en avait la sublime certitude. Elle comprendrait la langue aiguisée de Sarah, l’infortune de son frère, la cruauté de Charles Long,