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— Je crois que tous nos ancêtres étaient des lutteurs, si vous allez par là. C’était naturel chez eux, et, sacredié, il fallait bien qu’ils se battent, sans quoi ils n’auraient jamais passé.

Le tintamarre joyeux des assiettes augmentait à mesure que se remplissait la salle. Çà et là des voix entonnaient des bribes de chansons. On entendait de petits cris aigus et des protestations féminines parmi les graves volées de rire masculin. L’éternelle escarmouche se déroulait entre garçons et filles. Chez quelques hommes, les signes de l’ivresse étaient déjà manifestes. Des jeunes femmes, d’une table voisine, se mirent à appeler Billy. Et Saxonne, chez qui le sentiment d’une possession temporaire était déjà fort, remarqua avec des yeux jaloux qu’il représentait pour elles un objet de faveur et de convoitise.

À la table voisine, de l’autre côté, un jeune homme avait remarqué Saxonne. Son habillement était grossier, et grossiers aussi ses compagnons mâles et femelles. Il avait le visage allumé, et, dans les yeux, une lueur de sauvagerie.

— Hé ! toi, là-bas ! la petite aux pantoufles de velours ! j’suis ton homme ! cria-t-il.

La fille à ses côtés lui passa un bras autour du cou et essaya de le faire taire. Sous son copieux embrassement on l’entendit gargouiller :

— J’te dis qu’elle a un chic épatant. Tu vas me voir tout à l’heure aller l’enlever à ces pannés-là.

— Des gens du quartier des abattoirs, renifla Marie.

Les regards de Saxonne rencontrèrent ceux de la jeune femme qui la transperçaient de haine. Et dans les yeux de Billy elle vit courir une braise de colère. Plus sombres, plus beaux que jamais, alternativement nuancés de lumière et voilés d’ombres fuyantes, leur bleu s’approfondissait jusqu’à donner le vertige. Il avait cessé de causer, et ne faisait aucun effort pour renouer la conversation.