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Ce nom fut prononcé avec une telle profondeur de réprobation que Saxonne, pour l’accentuer, dut arrêter son fer et perdre de ce fait une douzaine de mouvements.

Marie, à moitié effrayée, lui lança une œillade par-dessus la table.

— Ce n’est pas cela que je voulais dire, Saxonne, gémit-elle. Parole d’honneur, je ne ferais jamais une chose pareille. Mais je te demande un peu si une journée comme celle-ci n’est pas faite pour vous porter sur les nerfs. Écoute-moi ça !

La femme affligée, étendue sur le dos, tambourinait des talons sur le plancher, et poussait une clameur incessante et monotone, comme une sirène mécanique. Deux compagnes l’avaient saisie sous les aisselles et la traînaient le long de l’allée, sans qu’elle interrompît son roulement ni sa complainte. Mais, par la porte ouverte éclata soudain le tonnerre contenu des machines, et ces bruits secondaires furent noyés avant qu’elle ne se refermât. Il ne subsista de l’épisode que cette sinistre odeur de roussi.

— C’est écœurant, déclara Marie.

En suite de quoi, et pendant longtemps, les fers nombreux furent soulevés et retombèrent. L’allure de l’atelier n’était en rien ralentie. La contremaîtresse arpentait les allées latérales, guettant d’un œil menaçant les moindres symptômes d’attaques de nerfs. De temps à autre une repasseuse perdait un instant le pas, poussait un halètement ou un soupir, puis se rattrapait avec une détermination excédée. Le long jour d’été déclina, mais non la chaleur, et le travail se poursuivit sous la clarté crue des lampes électriques.

Vers neuf heures les premières ouvrières commencèrent à quitter l’atelier. La montagne des empesages de fantaisie avait été démolie, à part quelques objets traînant sur les planches encore occupées. Saxonne termina son travail avant Marie, à la planche de qui elle s’arrêta en sortant.