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ciale et de l’empire du monde. Je voyais partout autour de moi la noblesse du but et l’héroïsme de l’effort, et mes jours étaient ensoleillés et mes nuits étoilées. Je vivais dans le feu et dans la rosée, et devant mes yeux flamboyait sans cesse le saint Graal, le sang brûlant et humain du Christ, gage de secours et de salut après la longue souffrance et les mauvais traitements. »

Je l’avais déjà vu transfiguré devant moi, et cette fois encore il m’apparut tel. Son front resplendissait de sa divinité intérieure, et ses yeux brillaient davantage au milieu du rayonnement dont il semblait drapé. Mais les autres ne voyaient pas cette auréole, et j’attribuai ma vision aux larmes de joie et d’amour dont mes yeux étaient obscurcis. En tous cas, M. Wickson qui était derrière moi, n’en était pas affecté, car je l’entendis lancer d’un ton ironique l’épithète d’ « Utopiste ! »[1].

  1. Les hommes de ce temps étaient esclaves de certaines formules, et l’abjection de cette servitude nous est difficile à comprendre. Il y avait dans les mots une magie plus forte que celle des escamoteurs. Les esprits étaient si confus qu’un simple mot avait le pouvoir de neutraliser les conclusions de toute une vie de pensées et de recherches sérieuses. Le mot Utopiste était un terme de ce genre, dont la simple prononciation suffisait à condamner les plans les mieux conçus d’amélioration ou de régénération économique. Des populations entières étaient frappées d’une sorte de folie au simple énoncé de certaines expressions comme