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notre amour, je m’inquiétais un peu de la violence et de l’impétuosité de sa galanterie. Mais ces craintes n’étaient pas fondées ; aucune femme n’eut la chance de posséder un époux plus doux et plus tendre. La douceur et la violence se mêlaient curieusement dans sa passion, comme l’aise et la maladresse dans son maintien. Cette légère gaucherie dans son attitude ! Il ne s’en débarrassa jamais, et c’était charmant. Sa conduite dans notre salon me suggérait la promenade prudente d’un taureau dans une boutique de porcelaine[1].

S’il me restait un dernier doute sur la profondeur réelle de mes propres sentiments à son égard, c’était tout au plus une hésitation subconsciente, et elle s’évanouit précisément à cette époque. C’est au club des Philomathes, en une nuit de bataille magnifique où Ernest affronta les maîtres du jour dans leur propre repaire, que mon amour me fut révélé dans toute sa plénitude. Le club des Philomathes était bien le plus choisi qui existât sur la côte du Pacifique. C’était une fondation de Miss Brentwood, vieille demoiselle fabuleusement riche, à qui il tenait lieu de mari, de famille et de joujou.

  1. On n’avait pas encore découvert la vie simple, et la coutume subsistait de remplir les appartements de bric-à-brac. Les chambres étaient des musées dont l’entretien exigeait un travail continuel. Le démon de la poussière était maître de la maison : il y avait mille moyens d’attirer la poussière, et quelques-uns seulement de s’en débarrasser.