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le masque à la société, et me laissait entrevoir des vérités aussi incontestables que déplaisantes.

Non, jamais il n’y eut pareil amoureux. Une jeune fille ne peut vivre jusqu’à vingt-quatre ans dans une ville universitaire sans qu’on lui fasse la cour. J’avais été courtisée par d’imberbes sophomores[1] et par des professeurs chenus, sans compter les athlètes de la boxe et les géants du ballon. Mais aucun n’avait mené l’assaut comme le faisait Ernest. Il m’avait enfermée dans ses bras avant que je m’en aperçoive, et ses lèvres s’étaient posées sur les miennes avant que j’aie le temps de protester ou de résister. Devant la sincérité de son ardeur, la dignité conventionnelle et la réserve virginale paraissaient ridicules. Je perdais pied sous une attaque superbe et irrésistible. Il ne me fit aucune déclaration ni demande d’engagement. Il me prit dans ses bras, m’embrassa, et considéra désormais comme un fait acquis que je serais sa femme. Il n’y eut pas de débat à ce sujet : la seule discussion, qui naquit plus tard, devait porter sur la date du mariage.

C’était inouï, invraisemblable, et pourtant, comme son critérium de vérité, ça fonctionnait ; j’y confiai ma vie, et je n’eus pas à m’en repentir. Cependant, durant ces premiers jours de

  1. Mot tiré du grec, signifiant « Les sages fous » et qui sert à désigner les étudiants de seconde année dans les universités américaines. (N. D. T.)