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présomption était en réalité le fil conducteur qui devrait me permettre de démêler le caractère d’Ernest Everhard. Il était simple et droit, il n’avait peur de rien, il se refusait à perdre son temps en manières conventionnelles. — Vous m’aviez plu tout de suite, m’expliqua-t-il longtemps après, et pourquoi n’aurais-je pas rempli mes yeux de ce qui me plaisait ? — Je viens de dire que rien ne lui faisait peur. C’était un aristocrate de nature, malgré qu’il fût dans un camp ennemi de l’aristocratie. C’était un surhomme. C’était la bête blonde décrite par Nietzsche[1], et en dépit de tout cela, c’était un ardent démocrate.

Occupée que j’étais à recevoir les autres invités, et peut-être par suite de ma mauvaise impression, j’oubliai presque complètement le philosophe ouvrier. Il attira mon attention une fois ou deux au cours du repas. Il écoutait la conversation de divers pasteurs, et je vis briller dans ses yeux une lueur d’amusement. J’en conclus qu’il avait l’humeur plaisante, et lui pardonnai presque son accoutrement. Cependant le temps passait, le dîner s’avançait, et pas une fois il n’avait ouvert la bouche, tandis que les révérends discouraient à perte de vue sur la classe ouvrière,

  1. Friedrich Nietzsche, le philosophe fou du XIXe siècle de l’ère chrétienne, qui entrevit de fantastiques éclairs de vérité, mais dont la raison, à force de tourner dans le grand cercle de la pensée humaine, s’enfuit par la tangente.