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sement sa cause. Cependant, cette organisation tacite devenait singulièrement vaste. Elle ne visait pas Jackson seulement. Elle était dirigée contre tous les ouvriers qui avaient été mutilés dans la filature, et, dès lors, pourquoi pas contre tous les ouvriers de toutes les usines et des industries de tout genre ?

S’il en était ainsi, la société était un mensonge. Je reculais d’effroi devant mes propres conclusions. C’était trop abominable, trop terrible pour être vrai. Pourtant, il y avait ce Jackson, et son bras, et ce sang qui coulait de mon toit et tachait ma robe. Et il y avait beaucoup de Jacksons ; il y en avait des centaines à la filature, il l’avait dit lui-même. Le bras fantôme ne me lâchait pas.

J’allai voir M. Wickson et M. Pertonwaithe, les deux hommes qui détenaient la plus grosse part des actions. Mais je ne réussis pas à les émouvoir comme les mécaniciens à leur service. Je m’aperçus qu’ils professaient une éthique supérieure à celle du reste des hommes, ce qu’on pourrait appeler la morale aristocratique, la morale des maîtres[1]. Ils parlaient en termes larges de leur politique, de leur savoir-faire,

  1. Avant la naissance d’Avis Everhard, John Stuart Mill écrivit, dans son Essai sur la Liberté : « Partout où existe une classe dominante, c’est de ses intérêts de classe et de ses sentiments de supériorité de classe qu’émane une large part de la moralité publique. »