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de le prendre dans mes bras, de poser sa tête sur ma poitrine, — sa tête fatiguée de tant de pensées — et de lui procurer un instant de repos, un peu de soulagement et d’oubli, une minute de tendresse.

Je rencontrai le colonel Ingram à une réception de gens d’église. Je connaissais bien le colonel, et depuis des années. Je m’arrangeai pour l’attirer derrière des caisses de palmiers et de caoutchoucs, dans un coin où, sans qu’il s’en doutât, il se trouvait pris comme au piège. Notre tête-à-tête débuta par les plaisanteries et galanteries d’usage. C’était en tout temps un homme de façons aimables, plein de diplomatie, de tact et d’égards, et au point de vue extérieur, l’homme le plus distingué de notre société. Même le vénérable doyen de l’Université paraissait chétif et artificiel à côté de lui.

En dépit de ces avantages, je découvris que le colonel Ingram se trouvait dans la même situation que les mécaniciens illettrés à qui j’avais eu affaire. Ce n’était pas un homme libre de ses actes. Lui aussi était lié sur la roue. Je n’oublierai jamais la transformation qui s’opéra chez lui quand j’abordai le cas Jackson.

Son sourire de bonne humeur s’évanouit comme un rêve, et une expression effrayante défigura instantanément ses traits d’homme bien élevé. Je ressentis la même alarme que devant l’accès de rage de James Smith. Le colonel ne jura point, et c’est la seule différence