Page:London - Le Talon de fer, trad. Postif.djvu/46

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Cet homme s’appelle Jackson, dit Ernest.

— Bâti comme il l’est, remarquai-je sèchement, il devrait travailler au lieu de faire le marchand ambulant[1].

— Remarquez sa manche gauche, m’avertit doucement Ernest.

Je jetai un coup d’œil et vis que la manche était vide.

— De ce bras vient un peu du sang que j’entendais couler de votre toit, continua-t-il du même ton doux et triste. Il a perdu son bras aux filatures de la Sierra, et, comme un cheval mutilé, vous l’avez jeté à la rue pour y mourir. Quand je dis « vous », je veux dire le sous-directeur et les personnages employés par vous et autres actionnaires pour faire marcher les filatures en votre nom. L’accident fut causé par le souci qu’avait cet ouvrier d’épargner quelques dollars à la compagnie. Son bras fut accroché par le cylindre dentelé de la cardeuse. Il aurait pu laisser passer le petit caillou qu’il avait aperçu entre les dents de la machine, et qui aurait brisé une double rangée de pointes. C’est en voulant le retirer qu’il eut le bras saisi et mis en pièces du bout des doigts à l’épaule.

  1. Il existait à cette époque des milliers de ces pauvres marchands appelés ambulants. Ils transportaient de porte en porte tout leur approvisionnement de marchandises. C’était un véritable gaspillage d’énergie. Les procédés de distribution étaient aussi confus et déraisonnables que tout l’ensemble du système social.