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ma cervelle un battement formidable. Faible et chancelante, je sortis par la vitrine brisée et descendis la rue, cherchant d’instinct et au hasard à m’échapper de cette affreuse boucherie. Et, à partir de ce moment, je vécus dans un cauchemar. Mon souvenir des heures suivantes est comme celui qu’on garde d’un mauvais rêve. Beaucoup d’événements sont nettement au point dans mon cerveau, images indélébiles séparées par des intervalles d’inconscience pendant lesquels ont dû se passer des choses que j’ignore et ne saurai jamais.

Je me souviens d’avoir butté au tournant contre les jambes d’un homme. C’était le pauvre diable de tout à l’heure qui s’était traîné jusque-là et s’était étendu sur le pavé. Je revois distinctement ses pauvres mains noueuses ; elles ressemblaient plus à des pattes cornées et griffues qu’à des mains, toutes tordues et déformées par son labeur quotidien, avec leurs paumes couvertes d’énormes durillons. En reprenant mon équilibre pour me remettre en route, je regardai la figure du misérable et je constatai qu’il vivait encore : ses yeux, vaguement conscients, étaient fixés sur moi et me voyaient.

Après cela, survient une de mes bienfaisantes absences. Je ne savais plus rien, je ne voyais plus rien, je me traînais simplement en quête d’un asile. Puis mon cauchemar se continue par la vision d’une rue jonchée de cadavres.