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moi, me cachant en partie de son propre corps. Une montagne de morts et de mourants commença à s’empiler sur nous, et sur ce tas, des blessés se traînaient en geignant. Mais ces mouvements cessèrent bientôt, et un demi-silence régna, entrecoupé de plaintes, de soupirs et de râles.

J’aurais été écrasée sans l’aide de Garthwaite, et, malgré ses efforts, il semble inconcevable que j’aie pu survivre à une pareille compression. Pourtant, souffrance à part, j’étais possédée d’un unique sentiment de curiosité. Comment cela allait-il finir ? Qu’est-ce que je ressentirais en mourant ? C’est ainsi que je reçus mon baptême de sang, mon baptême rouge, dans la boucherie de Chicago. Jusqu’ici, j’envisageais la mort comme une théorie ; mais depuis, elle représente pour moi un fait sans importance, tant elle est facile.

Cependant, les Mercenaires n’étaient pas encore satisfaits. Ils envahirent le porche pour achever les blessés et rechercher les indemnes qui, comme nous, faisaient les morts. J’entendis un homme, arraché d’un monceau, les implorer d’une façon abjecte, jusqu’à ce qu’un coup de revolver lui coupât la parole. Une femme s’élança d’un autre tas en grondant et en tirant des coups de feu. Avant de succomber, elle déchargea six fois son arme, mais je ne pus savoir avec quel résultat, car nous ne suivions ces tragédies que par l’ouïe. À chaque instant nous parvenaient, par bouffées, des scènes du même genre, dont chacune se