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Il était barbu, décharné et sale, mais je pus reconnaître en lui le robuste gaillard qui, trois ans auparavant, avait passé quelques mois dans notre refuge de Glen Ellen. Il me donna les mots de passe du service secret du Talon de Fer, pour me faire comprendre qu’il y était employé lui aussi.

— Je vous tirerai d’ici dès que j’en trouverai l’occasion, me dit-il ; mais marchez avec précaution, et, sur votre vie, prenez garde de faire un faux pas et de tomber !

Tout arrivait brusquement ce jour-là, et c’est avec une écœurante brusquerie que la foule s’arrêta. Je me heurtai violemment contre une grosse femme qui me précédait (l’homme au paletot fendu avait disparu), et ceux qui me suivaient furent projetés sur moi. L’enfer était déchaîné dans une cacophonie de hurlements, de malédictions et de cris d’agonie que dominaient le barattage des mitrailleuses et le crépitement de la fusillade. D’abord, je n’y compris rien. Des gens tombaient à droite, à gauche, tout autour de moi. La femme qui était devant moi se plia en deux et s’abattit, se serrant le ventre d’une étreinte affolée. Contre mes jambes un homme se débattait dans le spasme de la mort.

Je me rendis compte que nous étions en tête de la colonne. Je n’ai jamais su comment avait disparu le demi-mille d’humanité qui nous précédait, et je me demande encore s’il a été anéanti par quelque effroyable engin de guerre, disloqué