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je me sentais comme un être nouveau dans une nouvelle vie. Rien n’avait d’importance. La Cause était perdue pour cette fois, mais elle revivrait demain, toujours la même, toujours jeune et ardente. Et, aux horreurs déchaînées pendant les heures suivantes, je pus désormais prendre un calme intérêt. La mort ne signifiait rien, la vie ne signifiait pas davantage. Tantôt j’observais les événements en spectatrice, attentive, tantôt, entraînée dans leurs remous, j’y participais avec une égale curiosité. Mon esprit avait bondi à la froide altitude des étoiles et saisi, impassible, une nouvelle échelle d’appréciation des valeurs. Si je ne m’étais accrochée à cette planche de salut, je crois que je serais morte.

La foule s’était écoulée sur une longueur d’un demi-mille lorsque nous fûmes découverts. Une femme affublée de haillons invraisemblables, avec des joues caverneuses et des yeux noirs percés en trous de vrille, nous aperçut, Hartman et moi. Elle poussa un glapissement aigu et se précipita contre nous, entraînant une partie de la cohue. Je crois encore la voir, bondissant à un pas devant les autres, ses cheveux gris voltigeant en cordelettes emmêlées ; du sang lui coulait sur le front, provenant d’une blessure au cuir chevelu. Elle brandissait une hachette ; l’autre main, sèche et ridée, pétrissait convulsivement le vide comme une serre d’oiseau de proie. Hartman s’élança devant moi. L’instant ne se prêtait pas aux explications. Nous étions