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l’alcool pillé dans les magasins, ivres de haine, ivres de la soif du sang ; hommes en haillons, femmes en guenilles, enfants en loques ; êtres d’une intelligence obscure et féroce, sur les traits desquels s’était effacé tout ce qu’il y a de divin et imprimé tout ce qu’il y a de démoniaque dans l’homme ; des singes et des tigres ; des poitrinaires émaciés et d’énormes bêtes poilues ; des visages anémiés dont tout le suc avait été pompé par une société vampire, et des figures bouffies de bestialité et de vice : des mégères flétries et des patriarches barbus à têtes de morts : une jeunesse corrompue et une vieillesse pourrie ; faces de démons, asymétriques et torves, corps déformés par les ravages de la maladie et les affres d’une éternelle famine ; rebut et écume de la vie, hordes vociférantes, épileptiques, enragées, diaboliques !

Et pouvait-il en être autrement ? Le peuple de l’Abîme n’avait rien à perdre que sa misère et la douleur de vivre. Et qu’avait-il à gagner ? Rien autre chose qu’une orgie finale et terrible de vengeance. La pensée me vint que dans ce torrent de lave humaine, il y avait des hommes, des camarades, des héros, dont la mission avait consisté à soulever la bête de l’Abîme pour que l’ennemi fût occupé à la mater.

Alors, il m’arriva une chose surprenante : une transformation s’opéra en moi. La peur de la mort, pour moi-même ou pour les autres, m’avait quittée. Dans une étrange exaltation,