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À ce moment, la colonne qui avançait dans la rue arrivait presque à notre hauteur. Dès que les premiers rangs passèrent sous les fenêtres des bâtiments rivaux, l’action y reprit de plus belle. D’un côté on jetait des bombes dans la rue, de l’autre on en lançait sur la maison d’en face, qui ripostait. Du moins nous savions, cette fois, quelle était la maison occupée par nos amis. Ils faisaient du bon travail, défendant les gens de la rue contre les bombes de l’ennemi.

Hartman me saisit le bras et m’entraîna dans une impasse assez large qui servait d’entrée quelque part.

— Ce ne sont pas nos camarades ! me cria-t-il à l’oreille.

Les portes intérieures de ce cul-de-sac étaient fermées et verrouillées. Nous n’avions pas d’issue, car, à ce moment, la tête de colonne nous dépassait. Ce n’était pas une colonne, mais une cohue, un torrent déchaîné qui remplissait la rue ; c’était le peuple de l’Abîme affolé par la boisson et la souffrance, rugissant et se ruant enfin pour boire le sang de ses maîtres. Je l’avais déjà vu, ce peuple de l’Abîme : j’avais traversé ses ghettos, et croyais le connaître ; mais il me semblait aujourd’hui que je le voyais pour la première fois. Sa muette apathie s’était évanouie : il représentait à cette heure une force fascinatrice et redoutable, un flot qui s’enflait en lames de colère visible, en vagues grondantes et hurlantes, un troupeau de carnivores humains ivres de