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Hartman et moi déjeunâmes ensemble dans le wagon-restaurant, et je me forçai à manger. Le ciel s’était couvert, et le train filait comme un tonnerre monotone à travers les grisâtres draperies de cette journée qui s’avançait. Les nègres mêmes qui nous servaient savaient qu’un événement tragique se préparait. Ils avaient perdu leur légèreté habituelle de caractère et semblaient oppressés : ils se montraient lents dans leur service, leur esprit était ailleurs, et ils échangeaient des murmures attristés à l’extrémité du wagon, près de la cuisine. Hartman voyait la situation sous un jour désespéré.

— Que pouvons-nous faire ? demanda-t-il pour la vingtième fois en haussant les épaules. Puis, indiquant la fenêtre :

— Voyez ! tout est prêt ! Vous pouvez être sûre qu’ils en tiennent comme cela jusqu’à une distance de trente ou quarante milles en dehors de la ville, sur toutes les voies ferrées.

Il faisait allusion aux trains militaires rangés sur les voies de garage. Les soldats faisaient leur popote sur des feux allumés près des rails, et regardaient curieusement notre train qui filait sans ralentir son allure foudroyante.

Quand nous entrâmes dans Chicago, tout était tranquille. Il était évident que rien d’anormal ne s’y passait encore. Dans les faubourgs on nous distribua les journaux du matin. Ils n’annonçaient rien, et pourtant les gens habi-