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que plus tard, rentrés dans le monde, nous avons dû vivre souvent à part.

L’impatience avec laquelle j’attendais l’arrivée d’Ernest, ce soir-là, était aussi grande que celle que j’éprouve aujourd’hui devant la révolte imminente. J’étais restée si longtemps sans le voir que je devenais presque folle à l’idée que la moindre anicroche à nos plans pourrait le retenir prisonnier dans son île. Les heures semblaient des siècles. J’étais seule. Biedenbach et trois jeunes hommes cachés dans notre asile étaient allés se poster de l’autre côté de la montagne, armés et prêts à tout. Je crois bien que cette nuit-là, dans toute l’étendue du pays, tous les camarades étaient hors de leurs refuges.

Au moment où le ciel pâlissait à l’approche de l’aurore, j’entendis le signal donné d’en haut et m’empressai d’y répondre. Dans l’obscurité je faillis embrasser Biedenbach qui descendait le premier ; l’instant d’après, j’étais dans les bras d’Ernest. Et je m’aperçus en ce moment, tant ma transformation était complète, qu’il me fallait un effort de volonté pour redevenir l’Avis Everhard de jadis, avec ses manières, ses sourires, ses phrases et ses intonations. C’est seulement à force d’attention que je réussissais à maintenir mon ancienne identité. Je ne pouvais plus me permettre de m’oublier une minute, si l’impératif était devenu l’automatisme de ma personnalité acquise.

Une fois rentrés dans notre petite cabane, la