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devais faire perdre ma trace complètement ; car si j’étais suivie, il serait repris. Je ne pouvais pas non plus voyager sous un costume de prolétaire. Il ne me restait qu’à me déguiser en membre de l’Oligarchie. Les Oligarques suprêmes n’étaient guère qu’une poignée, mais il y avait des milliers de personnages de moindre éclat, du genre de M. Wickson, par exemple, qui possédaient quelques millions et formaient comme les satellites de ces astres majeurs. Les femmes et les filles de ces Oligarques mineurs étaient légion, et il fut décidé que je me ferais passer pour l’une d’entre elles. Quelques années plus tard, la chose eût été impossible, car le système de passeports devait se perfectionner à tel point que tout homme, femme ou enfant, dans toute l’étendue du territoire, serait inscrit et signalé dans ses moindres déplacements.

L’instant venu, mes espions furent détournés sur une fausse piste. Une heure après, Avis Everhard avait cessé d’exister ; tandis qu’une certaine dame Felice Van Verdighan, accompagnée de deux bonnes et d’un chien bichon qui avait lui-même une servante[1], entra dans le

  1. Cette scène ridicule constitue un document typique sur l’époque et peint bien la conduite de ces maîtres sans cœur : pendant que les gens mouraient de faim, les chiens avaient des bonnes. Cette mascarade était pour Avis Everhard une affaire de vie ou de mort, qui intéressait la Cause toute entière : il faut donc en accepter la fidèle vraisemblance.